Joyeux Noël à tous (même si vous n’êtes pas chrétien) !
Hier était justement la fête de Noël. En profitant d’un moment familial avec trois générations, je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir à plusieurs points. Ces réflexions portent sur : l’importance des principes en tant qu’actif intangible central, la délimitation des externalités positives et négatives (bien et mal), et la « chute en enfer » causée par la perte de capital social.
Principes : l’actif intangible le plus essentiel
À mon avis, le bien le plus précieux dans la vie est une excellente « série de principes », car ils constituent l’algorithme sous-jacent (Underlying Algorithms) de la prise de décision individuelle. Les principes façonnent notre fonction d’utilité (Utility Function) et sa mise en œuvre. Les principes fondamentaux concernent notre hiérarchie de valeurs, voire déterminent nos préférences de jeu dans des situations extrêmes (c’est-à-dire la croyance pour laquelle on est prêt à mourir).
Sur cette base, j’ai effectué les audits et réflexions suivants :
En quoi nos règles de conduite actuelles sont-elles compatibles avec les doctrines du christianisme et d’autres religions ?
Possédons-nous un contrat consensuel, ou risquons-nous de tomber dans un « jeu à somme nulle » en raison de conflits de principes ?
Quels principes universels peuvent être considérés comme des biens publics (Public Goods) partagés par toute l’humanité ?
Où se trouve la source (Source) de ces principes ?
Avec l’évolution de la civilisation, comment ces principes ont-ils évolué (Path Evolution) ?
D’un point de vue historique, depuis la formation des sociétés humaines, chaque région a développé ses propres principes et religions dans un environnement de survie relativement fermé. Bien que géographiquement différents, tous les sociétés ont une demande (Demand) très cohérente : elles ont besoin d’un ensemble de règles informelles (Informal Institutions) pour contraindre le comportement individuel, réduire les coûts de transaction (Transaction Costs) et réaliser la coordination sociale. Ces règles sont codifiées dans des « textes sacrés » (écritures). En d’autres termes, l’origine des religions est de fournir un mécanisme d’incitation pour la gouvernance sociale, guidant le comportement individuel vers l’optimum collectif.
La majorité des religions : qu’elles soient basées sur une foi transcendante ou qu’elles se concentrent sur l’éthique mondaine comme le confucianisme, sont composées d’un contrat hybride :
Guide de gouvernance sociale : règles d’interaction visant à améliorer le bien-être global de la société ;
Hypothèses surnaturelles (Superstitions) : systèmes de croyances dépassant la logique empirique.
Ces hypothèses surnaturelles (comme la virginité de la mère ou la résurrection) manquent souvent de preuves empiriques si on les lit littéralement. Mais si on les considère comme des métaphores (Metaphors), elles révèlent leur invariance transculturelle. En comparaison, les principes non surnaturels concernant la « coopération sociale » dans les grandes religions sont étonnamment similaires. Si l’on ne se concentre que sur la forme complexe et que l’on ignore ces principes fondamentaux d’incitation, les fêtes religieuses deviennent des symboles de consommation dénués de sens.
Bien que je ne sois pas croyant en raison de mon absence de foi en des forces surnaturelles (je ne suis pas enclin à accepter des hypothèses a priori non vérifiées), je reconnais la sagesse évolutive contenue dans la religion. Par exemple, « Aime ton prochain comme toi-même » et « Karma » incarnent en réalité la réciprocité altruiste (Reciprocal Altruism) en théorie des jeux.
Du point de vue de la conception mécaniste (Mechanism Design), lorsque les individus adoptent une stratégie de « donner plus que prendre » lors de leurs interactions, cela génère une valeur ajoutée (Value-added) très élevée : le coût pour celui qui aide est souvent bien inférieur au bénéfice marginal pour celui qui reçoit. La superposition de ces externalités positives crée une relation « gagnant-gagnant » (non-zéro-sum), augmentant considérablement la production et le bien-être social.
Pour moi, la « spiritualité » (Spirituality) désigne la conscience qu’un individu fait partie d’un système global, et qu’il tend à rechercher l’optimum du système (System Optimization) plutôt que l’optimum local (c’est-à-dire un extrême égoïsme au détriment de l’intérêt collectif). Ce n’est pas seulement une exigence morale, mais aussi une logique opérationnelle efficace. Malheureusement, ce consensus sur le bien et le mal est aujourd’hui gravement affaibli dans la société.
Bien sûr, je ne prône pas une paix absolue. Lorsqu’il s’agit de conflits irréconciliables liés à la survie, la lutte est une contrainte externe nécessaire. Mais ma règle de principe est : ne pas dépenser inutilement pour des hypothèses surnaturelles ou des trivialités marginales (Deadweight Loss), tout en maintenant une définition claire des externalités positives et négatives (bien et mal).
Définition du bien et du mal et la dimension morale du capital humain
Qu’est-ce que le bien et le mal ?
Dans le contexte moderne, on a souvent tort de réduire « bien et mal » à une simple augmentation ou diminution des intérêts personnels. D’un point de vue économique, « le bien » correspond à un comportement qui maximise l’utilité totale de la société (externalité positive), tandis que « le mal » est un comportement qui nuit à l’intérêt global (externalité négative).
L’évaluation du caractère est une extension de cette logique. Un bon caractère (Good Character) est une disposition psychologique capable de promettre et de réaliser la maximisation de l’intérêt collectif ; un mauvais caractère résulte de faiblesses ou de déviations comportementales qui nuisent au bien-être social.
Je suis convaincu qu’il existe un mode d’action permettant une amélioration de Pareto (Pareto Improvement) pour l’individu et la société. Bien que les discours religieux diffèrent, la valorisation de qualités telles que le « courage », « l’intégrité » ou la « modération » est une évidence universelle, car elles sont essentielles au fonctionnement d’une société complexe.
La société en « trajectoire descendante »
Je pense que nous sommes actuellement dans un processus métaphorique de « descente en enfer » (Hellish Process). Cela signifie que la majorité des membres de la société ont perdu le point d’ancrage de leur consensus sur le bien et le mal, ce qui entraînera un coût extrêmement élevé (Hellacious Price).
Plus concrètement, le contrat social est en train de se désagréger. Les principes dominants actuels se résument à une maximisation du seul intérêt personnel (Self-interest Maximization) : une prédation absolue sur l’argent et le pouvoir. Ce dévoiement des valeurs se manifeste dans la culture : nous manquons de modèles moraux porteurs d’un appel éthique.
Lorsque des comportements malveillants sont présentés comme des raccourcis vers le succès, et que des enfants grandissent dans un environnement dépourvu de « modèles d’incitation » appropriés, les conséquences sont catastrophiques. Drogues, violence, suicides, et l’élargissement de l’écart entre riches et pauvres (Opportunities Gap) sont à la fois symptômes et causes de l’effondrement des principes sociaux.
Ironiquement, de nombreux croyants dans l’histoire ont trahi les principes de coopération de leur doctrine en cherchant à s’approprier le surnaturel ou leurs intérêts personnels. Par cette déviance (Moral Hazard), ils ont abandonné la foi religieuse tout en rejetant à tort certains principes sociaux bénéfiques, créant ainsi un vide institutionnel.
Conclusion
Malgré la croissance exponentielle des technologies et de la productivité, je pense que la technologie n’est qu’un levier : elle peut à la fois amplifier le bien ou le mal. L’histoire a montré que l’innovation technologique n’a pas éliminé les conflits.
La bonne nouvelle (The good news) est que, grâce à l’arsenal technologique extrêmement puissant dont nous disposons, si nous parvenons à reconstruire un cadre de principes sains autour de la « réciprocité gagnant-gagnant » (Rulebook), nous serons en mesure de résoudre toutes les crises systémiques.
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Algorithmes fondamentaux et stabilité sociale : Réflexions de Noël sur l'évolution des principes et leur logique de jeu
Écrit par : Ray Dalio
Traduit par : Bruce
Joyeux Noël à tous (même si vous n’êtes pas chrétien) !
Hier était justement la fête de Noël. En profitant d’un moment familial avec trois générations, je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir à plusieurs points. Ces réflexions portent sur : l’importance des principes en tant qu’actif intangible central, la délimitation des externalités positives et négatives (bien et mal), et la « chute en enfer » causée par la perte de capital social.
À mon avis, le bien le plus précieux dans la vie est une excellente « série de principes », car ils constituent l’algorithme sous-jacent (Underlying Algorithms) de la prise de décision individuelle. Les principes façonnent notre fonction d’utilité (Utility Function) et sa mise en œuvre. Les principes fondamentaux concernent notre hiérarchie de valeurs, voire déterminent nos préférences de jeu dans des situations extrêmes (c’est-à-dire la croyance pour laquelle on est prêt à mourir).
Sur cette base, j’ai effectué les audits et réflexions suivants :
En quoi nos règles de conduite actuelles sont-elles compatibles avec les doctrines du christianisme et d’autres religions ?
Possédons-nous un contrat consensuel, ou risquons-nous de tomber dans un « jeu à somme nulle » en raison de conflits de principes ?
Quels principes universels peuvent être considérés comme des biens publics (Public Goods) partagés par toute l’humanité ?
Où se trouve la source (Source) de ces principes ?
Avec l’évolution de la civilisation, comment ces principes ont-ils évolué (Path Evolution) ?
D’un point de vue historique, depuis la formation des sociétés humaines, chaque région a développé ses propres principes et religions dans un environnement de survie relativement fermé. Bien que géographiquement différents, tous les sociétés ont une demande (Demand) très cohérente : elles ont besoin d’un ensemble de règles informelles (Informal Institutions) pour contraindre le comportement individuel, réduire les coûts de transaction (Transaction Costs) et réaliser la coordination sociale. Ces règles sont codifiées dans des « textes sacrés » (écritures). En d’autres termes, l’origine des religions est de fournir un mécanisme d’incitation pour la gouvernance sociale, guidant le comportement individuel vers l’optimum collectif.
La majorité des religions : qu’elles soient basées sur une foi transcendante ou qu’elles se concentrent sur l’éthique mondaine comme le confucianisme, sont composées d’un contrat hybride :
Guide de gouvernance sociale : règles d’interaction visant à améliorer le bien-être global de la société ;
Hypothèses surnaturelles (Superstitions) : systèmes de croyances dépassant la logique empirique.
Ces hypothèses surnaturelles (comme la virginité de la mère ou la résurrection) manquent souvent de preuves empiriques si on les lit littéralement. Mais si on les considère comme des métaphores (Metaphors), elles révèlent leur invariance transculturelle. En comparaison, les principes non surnaturels concernant la « coopération sociale » dans les grandes religions sont étonnamment similaires. Si l’on ne se concentre que sur la forme complexe et que l’on ignore ces principes fondamentaux d’incitation, les fêtes religieuses deviennent des symboles de consommation dénués de sens.
Bien que je ne sois pas croyant en raison de mon absence de foi en des forces surnaturelles (je ne suis pas enclin à accepter des hypothèses a priori non vérifiées), je reconnais la sagesse évolutive contenue dans la religion. Par exemple, « Aime ton prochain comme toi-même » et « Karma » incarnent en réalité la réciprocité altruiste (Reciprocal Altruism) en théorie des jeux.
Du point de vue de la conception mécaniste (Mechanism Design), lorsque les individus adoptent une stratégie de « donner plus que prendre » lors de leurs interactions, cela génère une valeur ajoutée (Value-added) très élevée : le coût pour celui qui aide est souvent bien inférieur au bénéfice marginal pour celui qui reçoit. La superposition de ces externalités positives crée une relation « gagnant-gagnant » (non-zéro-sum), augmentant considérablement la production et le bien-être social.
Pour moi, la « spiritualité » (Spirituality) désigne la conscience qu’un individu fait partie d’un système global, et qu’il tend à rechercher l’optimum du système (System Optimization) plutôt que l’optimum local (c’est-à-dire un extrême égoïsme au détriment de l’intérêt collectif). Ce n’est pas seulement une exigence morale, mais aussi une logique opérationnelle efficace. Malheureusement, ce consensus sur le bien et le mal est aujourd’hui gravement affaibli dans la société.
Bien sûr, je ne prône pas une paix absolue. Lorsqu’il s’agit de conflits irréconciliables liés à la survie, la lutte est une contrainte externe nécessaire. Mais ma règle de principe est : ne pas dépenser inutilement pour des hypothèses surnaturelles ou des trivialités marginales (Deadweight Loss), tout en maintenant une définition claire des externalités positives et négatives (bien et mal).
Qu’est-ce que le bien et le mal ?
Dans le contexte moderne, on a souvent tort de réduire « bien et mal » à une simple augmentation ou diminution des intérêts personnels. D’un point de vue économique, « le bien » correspond à un comportement qui maximise l’utilité totale de la société (externalité positive), tandis que « le mal » est un comportement qui nuit à l’intérêt global (externalité négative).
L’évaluation du caractère est une extension de cette logique. Un bon caractère (Good Character) est une disposition psychologique capable de promettre et de réaliser la maximisation de l’intérêt collectif ; un mauvais caractère résulte de faiblesses ou de déviations comportementales qui nuisent au bien-être social.
Je suis convaincu qu’il existe un mode d’action permettant une amélioration de Pareto (Pareto Improvement) pour l’individu et la société. Bien que les discours religieux diffèrent, la valorisation de qualités telles que le « courage », « l’intégrité » ou la « modération » est une évidence universelle, car elles sont essentielles au fonctionnement d’une société complexe.
Je pense que nous sommes actuellement dans un processus métaphorique de « descente en enfer » (Hellish Process). Cela signifie que la majorité des membres de la société ont perdu le point d’ancrage de leur consensus sur le bien et le mal, ce qui entraînera un coût extrêmement élevé (Hellacious Price).
Plus concrètement, le contrat social est en train de se désagréger. Les principes dominants actuels se résument à une maximisation du seul intérêt personnel (Self-interest Maximization) : une prédation absolue sur l’argent et le pouvoir. Ce dévoiement des valeurs se manifeste dans la culture : nous manquons de modèles moraux porteurs d’un appel éthique.
Lorsque des comportements malveillants sont présentés comme des raccourcis vers le succès, et que des enfants grandissent dans un environnement dépourvu de « modèles d’incitation » appropriés, les conséquences sont catastrophiques. Drogues, violence, suicides, et l’élargissement de l’écart entre riches et pauvres (Opportunities Gap) sont à la fois symptômes et causes de l’effondrement des principes sociaux.
Ironiquement, de nombreux croyants dans l’histoire ont trahi les principes de coopération de leur doctrine en cherchant à s’approprier le surnaturel ou leurs intérêts personnels. Par cette déviance (Moral Hazard), ils ont abandonné la foi religieuse tout en rejetant à tort certains principes sociaux bénéfiques, créant ainsi un vide institutionnel.
Conclusion
Malgré la croissance exponentielle des technologies et de la productivité, je pense que la technologie n’est qu’un levier : elle peut à la fois amplifier le bien ou le mal. L’histoire a montré que l’innovation technologique n’a pas éliminé les conflits.
La bonne nouvelle (The good news) est que, grâce à l’arsenal technologique extrêmement puissant dont nous disposons, si nous parvenons à reconstruire un cadre de principes sains autour de la « réciprocité gagnant-gagnant » (Rulebook), nous serons en mesure de résoudre toutes les crises systémiques.